Tribune : le troisième miracle économique par O. Berlien

Le directeur général d’OSRAM, entreprise membre du Syndicat de l’éclairage donne, à travers cette tribune, sa perception du bouleversement économique qui traverse aujourd’hui le monde des entreprises : la digitalisation.

Le troisième miracle économique

l’entrepreneuriat à l’ère de l’économie numérique

L’auteur, Olaf Berlien, docteur en commerce de l’Université technique de Berlin, est directeur général d’OSRAM Licht AG depuis janvier 2015 et président du directoire. 

Olaf Berlien OSRAM

La digitalisation, comme on l’appelle, est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Les experts sont unanimes : d’ici 2020, quasi tous les secteurs y prendront part. « Pourtant, si le public a bien perçu l’importance du sujet, les conclusions stratégiques et les actions concrètes peinent à venir. » Tel est le bilan tiré il y a six mois par une étude Roland Berger qui constate un « déficit de pénétration » considérable. À cet égard, il paraît utile de jeter un œil vers le passé. En effet, lorsque l’on considère l’histoire comme une force créatrice source d’impulsion, on peut mieux profiter des opportunités actuelles. Il est donc intéressant de se pencher sur le début du 20e siècle où une immense dynamique technique et économique s’est développée dans le sillage de l’internationalisation de l’économie allemande.

Ce n’est pas un hasard si la première pierre du Deutsches Museum à Munich, le prestigieux musée des sciences et de la technique, a été posée précisément en 1906. Cet édifice devait non seulement inaugurer le siècle de la technique, mais aussi célébrer le « premier miracle économique allemand », comme l’a appelé l’historien Hans-Ulrich Wehler, ce qui explique la dimension véritablement historique de ce musée.

De nombreuses nouvelles industries émergentes sont apparues au début du 20e siècle. La concomitance du savoir-faire technique et de l’internationalisation croissante de l’économie leur a fourni une opportunité unique qu’elles ont su saisir.

Ainsi sont nées les entreprises allemandes traditionnelles. Leur nom résonne encore aujourd’hui : la marque « Milka » a été déposée en 1901. À peine quelques années plus tard, le nom de « Horch » à l’origine de l’actuelle entreprise Audi a été inscrit au registre du commerce. BMW a été fondé à Munich en 1916. La création de Recaro, le fabricant de sièges automobiles et aéronautiques, remonte aussi à cette époque.

 Une première vague de start-up allemandes vers 1900

Aussi différentes qu’elles soient, toutes ces entreprises ont une chose en commun : elles se sont positionnées comme des acteurs nouveaux et dynamiques à l’opposé des grandes entreprises déjà établies. Ces jeunes industries ont adopté des approches tout simplement inhabituelles pour leur époque en matière de direction d’entreprise et d’organisation qu’elles ont appliquées avec un immense succès. Le degré de répartition du travail n’a cessé d’augmenter, les entreprises familiales ont engagé pour la première fois des « managers ». On pourrait même dire que les premiers services de communication en charge de la publicité et de la distribution sont nés à cette époque. Les entreprises ont pu rapidement se développer dans le monde entier, car les banques leur ont fourni un capital suffisant. Une vraie « mentalité de start-up » s’est répandue et le nombre d’entreprises de plus de 1000 collaborateurs a triplé en très peu de temps. Le nom d’Osram aussi a vu le jour à cette époque. Il s’agit d’un mot-valise combinant osmium et wolfram (tungstène), ces matériaux étant utilisés dans les filaments des ampoules. Il a été enregistré le 17 avril 1906 à l’office impérial des brevets de Berlin comme marque déposée pour des « lampes électriques à arc et à incandescence ».

C’est certainement plus qu’une coïncidence si Oskar von Miller n’a pas seulement été le fondateur du Deutsches Museum, mais aussi l’un des premiers de son temps à s’être intéressé au transport de l’électricité, une condition sine qua non pour la diffusion de l’éclairage électrique à l’origine d’un bouleversement profond de la société. L’éclairage électrique a été l’une des technologies de rupture du 20e siècle qui a apporté un progrès social, culturel et économique.

La vie des populations a complètement changé. Le visage des villes aussi : les labyrinthes de ruelles sombres se sont transformés en environnements urbains baignés de lumière. Soudain, les gens ont pu se déplacer la nuit en toute sécurité. C’est l’éclairage qui a rendu possible l’activité nocturne telle que nous la connaissons aujourd’hui dans les centres-villes modernes. Le lien entre éclairage, consommation, culture, société et divertissement est devenu le symbole par excellence de la grande ville.

Visuel OSRAM entrepreunariat

 

Courage entrepreneurial et détermination

Si l’on compare les années 1900 à l’époque actuelle, nous sommes à nouveau à l’orée d’un tournant économique dynamique résultant de la révolution numérique. Il présente des similitudes avec le premier miracle économique et a de fortes chances d’annoncer un troisième miracle économique après le second que nous avons connu dans la deuxième moitié du 20e siècle. À nouveau de jeunes entreprises dynamiques se créent avec de nouvelles approches. Elles utilisent systématiquement le progrès technologique de la digitalisation, en tirent profit de manière cohérente avec un bon financement et connaissent une croissance extrêmement rapide.

L’un de mes exemples préférés est Airbnb. Ce site marchand communautaire, qui permet aux particuliers de louer leur logement à des touristes pour de courtes durées, est évalué dans les médias à près de 25 milliards de dollars. Cela correspond à la valeur des entreprises du DAX. Un autre exemple représentatif est Uber, l’une des start-up les mieux cotées au monde. Grâce à son site et à son application, Uber offre un service de chauffeur privé à la demande, ce qui bouleverse le secteur des taxis. L’entreprise fondée en 2009 est aujourd’hui évaluée à plus de 50 milliards de dollars.

Ces deux exemples montrent à quel point, malgré l’innovation, les nouvelles entreprises numériques sont propulsées par des personnes courageuses, créatives et déterminées ayant l’esprit d’entreprise et qui mettent en œuvre intelligemment les avancées techniques de la digitalisation. À terme, ils veulent conquérir des marchés en attaquant les modèles économiques existants avec des idées radicales et en abolissant les frontières intersectorielles, avec impertinence et une liberté fidèles à la devise « The sky’s the limit » : tout est possible. Le succès leur donne souvent raison.

L’entrepreneur : du patriarche au hipster et au destructeur

Au cours des décennies, quasi aucune autre profession n’a autant évolué en termes de réputation que celle de l’entrepreneur : des patriarches responsables et paternalistes aux capitalistes sans scrupule. Des « patrons voyous » cupides aux créateurs de start-up tendance. L’entrepreneur cristallise selon les époques les idéologies économiques et sociales les plus diverses.

visuel digitalisation entrepreunariat osram

Avec la digitalisation, l’entrepreneur assume de plus en plus un rôle de « destructeur créateur ». Le secret de sa réussite est la détermination avec laquelle il investit le progrès technologique dans de nouveaux modèles économiques menant à la réussite commerciale. La réalisation de ce nouveau modèle n’est guère possible sans la modification de processus de travail et de production devenus obsolètes et la création de nouveaux marchés. Le changement structurel et la croissance économique passent nécessairement par l’avènement de la nouveauté et la disparition de l’ancien.

La réussite de ces entrepreneurs a des conséquences radicales sur l’économie établie. Là aussi, le progrès doit faire son entrée sous peine de se retrouver parmi les perdants. Quelques ajustements cosmétiques ne sauraient suffire. Un changement profond doit avoir lieu. Les chefs d’entreprise doivent se saisir radicalement de la question de la digitalisation. La demi-mesure est impossible en la matière. J’entends radicalement au sens premier : entièrement, complètement, en s’attaquant à la racine.

C’est au PDG d’insuffler ce changement dans toute l’organisation. Les entreprises établies en particulier doivent combler un retard important. En effet, il leur manque des collaborateurs avec un esprit d’entreprise et une approche de rupture.

Elles doivent donc faire en sorte d’avoir un management flexible et de donner à leurs collaborateurs l’autonomie nécessaire pour qu’ils exercent leur esprit d’entreprise. Le maître mot : « un maximum de décentralisation pour un minimum de centralisation ». Le collaborateur comme entrepreneur au sein de l’entreprise est nécessaire pour que les entreprises puissent réagir plus vite et avec plus de dynamisme aux différents besoins des clients et du marché et passer le cap de la révolution numérique. Les collaborateurs doivent retrouver l’esprit créateur et le courage de prendre des risques et des responsabilités.

La rupture comme opportunité

Nous le voyons : les start-up, les évolutions technologiques ou la rupture ne sont pas des phénomènes cantonnés au 21e siècle. Elles s’inscrivent plutôt dans le cycle historique d’un entrepreneuriat déterminé. Cela vaut surtout pour le potentiel immense qu’elles peuvent libérer : pendant le premier miracle économique allemand de 1895 à 1914, les profits de l’ensemble du secteur industriel ont bondi de 150 %. Ce qui était avant l’industrie électrotechnique est aujourd’hui l’économie numérique.

« Si nous voulons tirer parti de ce potentiel, nous devons oser détruire et faire preuve de détermination et de clairvoyance entrepreneuriales. Ce sont les bases d’une économie numérique prospère »